La quête de la Sphère d'Anésidora

Ou comment ne plus souffrir

Avait elle perdu la foi ?

Peut être simplement n'avait elle plus envie d'y croire, à force de déceptions. Elle s'était tant battu, pendant ces années, ces mois... mais depuis quelques semaines, la dure conviction qui jusqu'avant l'animait d'une force peu commune s'était érodée. A présent, la question qui revenait comme une réponse aux maux de son coeur était simplement : A quoi bon ?

Quand est ce que tout avait commencé à se dégrader ?

Il lui est difficile de cerner cette gangrène qui s'était installée jusqu'à l'aveugler complètement, mais en cherchant dans sa mémoire, elle saurait identifier le point de jonction qui situait "l'avant" de "l'après". La désertion. Cette ultime trahison aux siens, ce silence que sa soeur avait fait subir une nouvelle fois au clan... puis le capharnaüm terrible qui s'en était suivi ; la scission, les secrets, les complots, les critiques, la haine aussi... A force de patience et de foi, elles avaient néanmoins réussi à sauver leur clan d'une dissolution qui semblait alors sur le point de se produire, mais tout alors avait été changé...
Quelque chose était né, en brisant autre chose.

L'avant et l'après.

Gwendhël s'était alors dit qu'elle ne reconnaissait plus son clan... Voyant les fautes se multiplier, la honte se porter sur celles qui étaient ses soeurs, le lien poursuivait de se briser. Elle les voyait encore, elle les saluait, mais n'était plus avec elles. Elle ne pouvait accepter ce qui s'était produit. Pourtant encore résolue à voir l'avenir s'améliorer, elle avait fait le choix de s'éloigner quelque peu afin de ne pas entretenir cette rancoeur, préférant laisser passer les choses, laisser le temps gommer ce passé d'incompréhension... Mais à mesure qu'elle s'éloignait, elles autres se soudaient, formant un bloc à l'union solide.... un seul "bras armé" comme elles avaient pu l'être par le passé.

Mais le lien semblait rompu aujourd'hui.
Sans doute chacune avait fait trop de chemin de son côté et elle se sentait trop loin d'elles à présent pour rebrousser toute cette route parcourue. Pourtant, elle restait, comme un fantôme, mais elle restait... sans doute pour celles à qui elle avait auparavant offert sa confiance et qui la lui avaient offerte en retour.

Mais sans doute sans s'en rendre compte, le chemin l'avait éloignée de celles ci aussi... et ce soir là, elle comprit à quel point elle avait forgé sa propre solitude. Elle les regardait mais ne voyait plus en elles que des étrangères, ce qu'elle était certainement devenue aussi à leurs yeux.

Elle avait trop pleuré pour celle qui l'avait trahi, trop tremblé pour celles qui avaient menacé l'unité de son clan... et tout s'était enchaîné ensuite ; le retour imprévu de cette gamine, vestige d'un si terrible passé, la culpabilité et puis le rejet.... jusqu'à ce qu'elle aussi préfère reprendre son chemin... loin d'elle. A force de souffrir, pour elle même, pour les autres, de lutter, ses dernières ressources s'épuisaient et malgré le mal qui lui ne faiblissait pas, elle ne trouvait plus l'envie de se battre, elle voulait juste pouvoir continuer en abandonnant quelque part cette souffrance accumulée.


C'en était trop, ces émotions la rendaient faible.
C'étaient elles les seules coupables de tout ce désordre dans sa tête et dans son coeur et elle était résolue à les faire taire définitivement. Elle ne voulait plus se sentir déchirée par les trahisons, brisée par les déceptions ou accablée par la vérité. Même s'attendrir sur les larmes de ses soeurs devait être une faiblesse destinée à mourir dans des limbes, même si ces larmes avaient toujours été le seul salut quand la colère noyait son coeur. Mais alors.... la colère se tairait aussi...



En cherchant dans la Grande Bibliothèque de Varanas, elle était tombée sur une vieille légende qui sembla luire en son coeur comme un dernier espoir avant de sombrer :

Extrait de l'ouvrage : 'Mythes des Terres Arides' a écrit:

(...) Sous un ciel assombri par les cendres volcaniques et empli de l’odeur écœurante du souffre, se trouve le Volcan Aotulia, également appelé « Griffe du Dragon Magique » par les aventuriers. La présence de cendres dans l’atmosphère est si élevée que la couleur du ciel reste continuellement grise. Exceptées les quelques plantes capables de survivre dans ce milieu hostile, la région est totalement désertique. Les bâtiments des Nagas sont ici totalement différents de ceux construits dans les avant-postes situés dans les bois, que ce soit en terme de style ou d’armement.

Il semble que les Nagas ont construit cette cité sous la tutelle de créatures d’une grande intelligence. Mais, l’identité des personnes se cachant derrière cette réalisation reste encore inconnue. En effet, même le plus expérimenté des éclaireurs de l’Ordre de la Gloire Funeste n’a pu passer la porte gardée par les troupes Nagas.

Mais il se dit parmi les Nagas que l'entité à la tête de tout ceci, nommée par les hommes-serpents "Anésidora", avait créé une sphère magique capable d'emprisonner l'âme d'une personne afin de la protéger de ses propres sentiments. Le but originel de cette sphère était de permettre à l'aventurier la trouvant de pouvoir devenir qui il voulait en usant de n'importe quel moyen, sans a aucun moment être affecté ou ralenti dans sa quête de gloire, par la culpabilité, l'amour ou la peur.

Cette sphère, selon le mythe, aurait été dissimulée au coeur du volcan...(...)

Depuis qu'elle avait lu ceci, les phrases tournaient sans cesse en son esprit comme un dangereux ouragan. C'était son salut. Elle avait pris sa décision.


Un soir, elle enfourcha son étalon, revêtit une longue cape de velours bleu dont la large capuche lui couvrait le visage et chevaucha à brides abattues en direction du Volcan...

"Une dernière mission, mes sœurs, avant que vous ne puissiez plus jamais faire battre mon coeur... ou le briser. Un dernier combat, où je peux encore craindre pour vos vies ou espérer une liesse de victoire à son issue. Un dernier sourire, un dernier élan, qui étrangement, comme si mon coeur était déjà plus léger de l'espoir de cette quête à venir, se veut doux et chaleureux à votre égard.... Adieu, et à bientot, même si alors, jamais plus vous ne pourrez m'atteindre comme vous en aviez autrefois le pouvoir.

Elle battit des cils lentement en jetant un regard sur ses soeurs avant de rejoindre son étalon qui l'attendait placidement près d'un baquet d'eau. Elle le scella rapidement, enfila sa cape et l'enfourcha. Une brève seconde d'hésitation, où elle jeta un regard en arrière, mais il n'y avait personne pour la retenir. Tant mieux, sans doute.

D'un coup de talons bien placés, elle lança son cheval au galop, les doigts serrés sur les rênes qui claquaient au vent, se pencha légèrement en avant pour tenir la cadence, et regarda au loin devant elle.

"Vide ton esprit. Le passé n'existe plus."


La distance sembla perdre de sa réalité, tant elle était concentrée sur son objectif, les kilomètres avalés goulument par les sabots de sa monture qui soufflait bruyamment par les naseaux, la langue sortie de coté. La forteresse abandonnée, et ses plages sans fin. Les côtes des lamentations, et cette puanteur de poisson omniprésente. Enfin les Terres sauvages, dernier rempart avant l'inconnu.

Elle atteignit la Grande Barrière sans aucune difficulté, mais s'arrêta une seconde, surprise de la présence de mages qui semblait sceller l'entrée d'une magie électrique. Mais elle n'en ressentit aucun effet et passa, poursuivant sa route. L'étalon, épuisé, était revenu au pas dans la structure.

A mesure qu'ils progressaient, la chaleur ambiante augmentait, lui montant d'abord aux joues, puis semblant coller tout le tissu qu'elle portait à sa peau. Peu à peu, ce fut sa respiration qui fut affectée, oppressée de l'intérieur, comme si l'oxygène se faisait plus rare. Après un dernier tournant, elle déboucha sur une plaine désertique qui montait en une pente raide. Le cheval s'arrêta un instant, semblant inquiet. Elle regarda autour d'elle, jaugeant le danger environnant.

Grimaçant, elle porta la main à sa joue et balaya une cendre noire. Étonnée, elle leva les yeux au ciel et constata une pluie floconneuse de petites particules grises-cendrées. Elle y était. Le volcan ne devait plus être bien loin...

Elle chercha son souffle, jeta un dernier regard autour d'elle, et fit claquer les rênes.

Bien évidemment, elle n'était pas de taille à affronter seule ce lieu, mais l'objectif valait le risque encouru.


Avec habileté, elle esquiva les créatures présentes, semblant toutes préhistoriques et agressives, suivit un sentier puis l'autre. En chemin, elle croisa quelques aventuriers qui posèrent sur elle un regard surpris, mais elle ne ralentit pas. Le volcan apparaissait au loin, montagne immense se détachant de l'horizon avec une lueur rouge-orangée impressionnante.

Elle fit gravir la pente à son étalon qui trébucha sur de nombreuses pierres meubles et sans cesse, la température ne cessait de croitre. Parvenue au sommet, les mèches de cheveux qui s'échappaient de son chignon serré collaient à son visage en nage. C'est là qu'elle décida d'abandonner sa monture, refusant de lui faire courir plus de risques.

Elle repéra un chemin escarpé qui s'engouffrait dans les entrailles de la terre en fusion et le rejoignit.

De nouveau, l'oxygène manquait, terriblement cette fois, elle haletait, essuyant régulièrement son front d'un revers de manche. Mais ses pas semblaient mus d'une volonté propre et ne cessaient leur progression. Elle s'enfonçait dans la gueule béante de la « Griffe du Dragon Magique », les tripes nouées d'une angoisse et d'un espoir liés. La respiration sourde et épaisse, elle suivait le chemin rocailleux, évitant de toucher les parois brulantes, apercevant dans le fond de l'abîme des lueurs rouges embrasées.

Elle parvint après de longues minutes de descente à une esplanade qui surplombait un cratère en lave bouillonnante. Elle respirait avec peine. Au bout du promontoire, un réceptacle creux s'élevait sur un peu plus d'un mètre. Elle s'en approcha.


A son niveau, elle abaissa son regard et vit en son coeur une pierre carmin rougeoyante qui semblait flotter dans les airs. Des flammes la consumaient, combustion incompréhensible de ce matériau en suspension....

Hypnotisée par les flammes dansantes autour de la pierre, Gwendhël approcha ses doigts sans précaution pour se saisir de l'objet mystique. Un cri s'échappa d'entre ses lèvres tandis qu'elle retirait ses mains brusquement. Brûlante et impossible à saisir...

Elle poussa un soupir et posa ses mains de part et d'autre du réceptacle en pierre, les yeux rivés sur la sphère. Comment faire ?... Rien dans le livre qu'elle avait lu n'expliquait la marche à suivre pour entrer en possession de cette magie ancestrale. Stupidement, elle approcha de nouveau ses mains et se brûla une nouvelle fois...

La colère naquit en son cœur, mue par le désespoir d'avoir fait tout ce chemin pour se retrouver bloquée si près du but. Elle sentit les battements dans sa poitrine devenir plus forts, plus rapides tandis qu'elle serrait les dents en scrutant la sphère. Ses doigts se crispèrent sur le rebord pierreux, comme si elle s'apprêtait à l'arracher de son socle montagneux.

"J'ai besoin de toi... Il faut... il faut que tu me libères, je t'en conjure..."

Elle baissa les yeux au dessus de la sphère, et sentit une vague de douleur refluer en sa poitrine, vaine tourmente qu'elle ne parvenait plus à contrôler ses derniers jours et les larmes se mirent à couler doucement sur ses joues.

"Tu sais tout ce dont je suis coupable... et ma plus grande sanction fut de n'en avoir aucune de toi... Père. Je ne supporte plus... leurs contacts, je ne supporte plus ma propre existence... Je me fais horreur, condamnée à faire de mauvais choix dont je supporte le fardeau seule. Je ne peux pas leur dire, je ne peux me confier à elles... Je t'en prie ! Il faut que.... cette sphère.... me libère..."

Sa voix s'étrangla dans sa gorge et une cascade de larmes brûlantes et acides inondèrent ses joues. Elles serrait si fort la pierre de ses doigts que ses phalanges blanchissaient mais dès lors, elle ne sentait plus cette simple souffrance physique, rongée de l'intérieur par d'autres maux.

"Je l'ai abandonnée ! Ce petit être, ce don que tu m'avais fait après m'avoir offert tes grâces !! Délaissée, reniée, comme si elle n'avait jamais existée ! C'était comme renier ton nom ou ton existence... Je veux cesser de songer à cela, je veux cesser de pleurer mes soeurs et cette enfant maudite, je veux cesser de ressentir toutes ces craintes et cette souffrance...!! LIBÈRE MOI !"

Un sanglot de plus et elle devint incontrôlable, sa respiration haletante, en manque d'oxygène, perdit son souffle, son visage n'étant plus qu'une rivière de larmes, convulsif...


La chute vertigineuse de ses larmes tombèrent sur la sphère enflammée. Une, puis deux, plus toute une flopée. Aussitôt, un sifflement aigu se mit à retentir, provenant de la pierre, qui s'enfla de plus en plus jusqu'à devenir insoutenable. Elle rouvrit les yeux surprise, ne vit au travers de ses cils mouillés qu'une masse carmin trouble dont l'intensité virait au pourpre, au mauve, puis au bleu, irradiant d'une lumière de plus en plus intense. Elle recula légèrement, porta la main à ses yeux pour se protéger, aveuglée par tant de clarté.

La sphère s'éleva alors lentement vers le haut, luisant de plus en plus comme une étoile qui aurait chu sur terre. La valkyrie ne pouvait plus détacher ses yeux de cette magie incroyable.

Mais, dépassant le mysticisme d'une telle vision, elle ressentit soudain une violente douleur dans sa poitrine. Elle posa les mains sur son coeur, griffant comme pour extraire le mal, les yeux clos, les dents serrés, un gémissement se muant en un cri à l'orée de ses lèvres. Elle avait l'impression qu'on la déchirait de l'intérieur. Tout à la fois glacée et brulante, le hurlement s'enfla démesurément dans sa bouche jusqu'à aller se répercuter sur les hautes parois du volcan.

Brusquement, elle écarta les bras en croix, la tête rejetée vers l'arrière, comme s'offrant. En réalité, on lui arrachait quelque chose de profondément enfoui, déchirant ce qu'elle fut autrefois, pour ne laisser qu'un simple instinct de survie et une soif de pouvoir. La douleur était insoutenable et son hurlement semblait se prolonger à l'infini avec l'écho. Elle crut mourir.

Aussi brusquement que ça s'était produit, elle s'effondra au sol.

Tout avait disparu.
La lumière, les flammes, la colère, les larmes, la peur, la douleur... Elle se sentait... vide.

Et pourtant, une nouvelle combativité était née en elle.
une force qui ne craindrait plus aucune faiblesse.

Elle regarda ses mains, la roche, puis se releva lentement.
Elle se dirigea vers le réceptacle où la sphère gisait inerte au fond, ayant recouvré une apparence de roche noire volcanique. Elle la prit dans ses mains, l'observa une seconde puis sourit d'un air carnassier...

Tant qu'elle conserverait cette sphère, ses sentiments ne lui nuiraient plus jamais, sa magie absorberait tout, amour, colère, compassion, tristesse... Elle serait intouchable. Plus personne ne pourrait la blesser ou la manipuler...