La neige était encore tombée drue la veille, recouvrant d'un manteau immaculé les plaines des Hautes Terres d'Ystra. Gwendhël avait passé une partie de la soirée à la fenêtre à la regarder choir, s'entasser, avalant chaque bruit jusqu'à générer un silence oppressant dans l'obscurité nocturne .... comme si le Néant se servait de la neige comme d'une arme de destruction pour accomplir ses sombres desseins. La nuit fut courte et froide, les missions qui les attendaient méritaient vigilance et concentration.
Le lendemain, dans la matinée, elle prit la route avec sa sœur Hystryane pour rejoindre le Village minotaure situé au sud est de la région. Ces créatures mi vaches mi hommes étaient à tout à la fois dangereusement inquiétantes et risibles, chargeant avec un regard à glacer le sang, envoyant fondre leur berhu domestique pour ensuite agoniser dans des râles pitoyables de génisse qui met bas.
Les deux Valkyries pénétrèrent avec prudence dans leur camp, éliminant les uns après les autres, les patrouilleurs, les prêtres et les soldats d'élite, visiblement prêts à tout pour repousser les intrus. Grâce aux talents combinés d'Hystryane la Guerrière et de Gwendhël la Druide, les cadavres bovins s'entassèrent rapidement, formant comme un chemin de retour dans leur sillon... On ne sait jamais, si elles se perdaient, ces traces pourraient être utiles pour retrouver la sortie.
Le village grimpait sur une route sinueuse le long de la montagne de Corneneige, et paliers après paliers, les Valkyries gravirent les hauteurs jusqu'à son extrémité où le chef Minotaure attendait son heure. Après une brève hésitation, évaluant d'un coup d'oeil la force physique de l'ennemi, les deux soeurs échangèrent un regard, un sourire et se lancèrent dans l'affrontement. Ce fut l'affaire de quelques minutes avant qu'il ne trépasse au point qu'Hystryane en fut même déçue, s'exclamant :
" Bon, il est où son chef ?"
Mais bien évidemment, il n'y avait personne de plus gros ni de plus fort pour contenter la soif de bataille de la Guerrière. Elles firent donc demi tour, suivant les dépouilles cornues et le sang entachant la pureté de la neige, achevant au passage une autre bonne quinzaine de leurs frères, aussi stupides qu'agressifs, n'ayant sans doute pas pris conscience qu'ils n'avaient aucune chance à affronter ces deux donzelles enragées.
Elles rejoignirent ensuite la "Maison" comme elles se plaisaient à l'appeler. Il s'agissait en vérité de la demeure de Nûmea, une de leur soeur, mais celle ci leur avait ouvert les portes de sa résidence, en faisant le repaire commun à tout le clan, dans l'attente du château que l'Héritière espérait construire. Hystryane arriva la première, avec pour mission de préparer le tonnelet d'hydromel en récompense de leur sueur versée. Gwendhël avait à passer auprès de quelques donneurs de quête afin de toucher son pécule et se débarrasser de quelques objets encombrants. Mais lorsqu'elle poussa enfin la porte de la Maison, quelle ne fut pas sa surprise de surprendre Hystryane en un tête à tête étrange avec un crapaud géant juché sur la table du salon.
Elles lui donnèrent la chasse rapidement, mais ce crapaud, visiblement doté d'une intelligence et d'une ruse que ses congénères ne possédaient pas, parvenait systématiquement à leur échapper, semblant même jouer avec elles à les agacer et les provoquer. Et puis... une chose étrange, qui intrigua au plus haut point Gwendhël, même si en soit le détail paraissait au combien ridicule, c'était l'expression du regard de ce batracien : il lui rappelait quelque chose. Un regard vicieux, légèrement pervers mais luisant d'astuce. Après de longues minutes de chasse, la bestiole, glissant entre les jambes des Valkyries, s'échappa sans aucune difficulté et ne reparut plus.
Plus tard, Hystryane lui avoua qu'un jour, elle même avait subi une telle transformation, suite à l'ingestion d'une potion, venant d'un alchimiste peu scrupuleux.
Plus tard encore, essayant de creuser le mystère, une inconnue entendant le récit conseilla simplement :
" Et bien ma foi, vous auriez du l'embrasser !... Certaines fois, les crapauds se changent en prince charmant."
Tiens, oui, drôle d'idée... mais, après tout, si ça marchait vraiment ?