Prière à Odin

Musique d'ambiance : Sonate au clair de lune - Patrick Péronne

Les dalles disjointes, polies et usées par les affres du temps s'étendaient devant la Valkyrie sur toute la surface du sanctuaire tandis qu'à l'est un crépuscule nébulaire envahissait le ciel de tons pourpres et violacés. Le silence se faisaient doucement sur les plaines de Sourçargent, laissant place après le tumulte de la journée, rythmé des bruits de lames qui s'entrechoquent et des cris de combattants en chasse de quelque honneur intouchable, l'apaisante symphonie des oiseaux de nuit qui s'éveillaient entrant de concert avec le langoureux coassement des batraciens alentours.

Ses pas l'entrainèrent devant elle, gravissant d'une démarche lente les marches cerclées de colonnes de pierres jaunes, scrutant autour d'elle comme si elle découvrait ce paysage pour la première fois. Sur sa gauche le gardien de pierre, immense et paresseux qui déambulait sans but aux abords du dallage et devant elle, la statue d'Odin qui se dressait, gigantesque, surplombant tout, le regard porté au loin comme surveillant de sa silencieuse présence les terres tourmentées, où ses Valkyries œuvraient chaque jour.

Ses pensées se confondaient, s'embrouillaient tandis qu'elle tâchait de se souvenir ce qui l'avait poussé à venir ici seule.

Seule, voilà oui le besoin qu'elle avait...

Depuis quelques semaines, tout lui échappait, les événements s'enchainaient les uns après les autres, impossibles à arrêter ni à comprendre, entrainant dans leur sillage une écume de problèmes et de catastrophes en chaîne. Elle se sentait dépassée, rattrapée par les conséquences d’actes antérieurs sur lesquelles elle sentait qu’elle n’aurait aucune maîtrise. Pourtant le devoir, son devoir de valkyrie était là, ancré dans ses chairs, dans son sang, dans son esprit et elle savait qu’elle ne devait s’en écarter.

Pourtant, elle l’avait fait…

Enveloppée par les bruits de la nuit, les odeurs de terre humide et d’humus qui s’élevaient du sous bois environnant, l’enivrant de sensations qui lui faisaient perdre pied avec la réalité du jour, elle stoppa devant la haute statue de son Père, levant les yeux un instant sur sa grandeur, prise d’un léger vertige, puis les ferma, retenant des larmes de fatigue.

D’un geste soudain, elle se laissa tomber à genoux devant lui, les mains à plat posées sur les dalles froides et couvertes de rosée, la nuque baissée et d’une voix à peine audible, les mots franchirent le seuil de ses lèvres comme une marée incontrôlable :

« Odin, mon père, notre père à toutes. Guide ta fille en ces heures de tourment, j’implore ton soutien et ta clémence pour mes faiblesses… »

Elle inspira profondément, comme manquant d’air, puis le flux violent qu’elle enfermait en elle depuis déjà trop longtemps, brisa de nouveau le barrage de ses lèvres.

« J’ai failli… par amour pour lui. J’ai refusé l’honneur à ce guerrier d’être conduit par moi au Valhalla pour ta divine armée… par peur de le perdre, par peur de perdre ce qui me semblait important… et tu sais que j’ai fait bien pire, Père. J’ai déshonoré ton nom et les grâces que tu m’as faites, j’ai refusé ton présent en agissant avec lâcheté et duperie. Toi seul sait ma plus grande faute et alors que j’attendais que vienne des cieux le châtiment qui m’aurait permis d’expier, je n’ai jamais moins senti ta présence qu’en ces derniers temps où pourtant j’étais prête à subir ton courroux… Jamais je n’oserais avouer cette ignominie que j’ai commise, une nouvelle fois par peur et toi seul pourra m’imposer ma sanction… et Père, je l’attends…. Je t’en prie, permets moi de laver cet affront que je t’ai fait et que j’ai fait à toutes mes sœurs… »

Ses dents vinrent mordre violemment dans la chair douce de ses lèvres tandis que des larmes silencieuses se mettaient à couler sur ses joues en un torrent brulant, emplissant sa bouche d’un gout amer.

« Père… Je sais que ce ne sera jamais assez pour réparer et faire oublier ce que j’ai fait… Je sais… c’était il y a si longtemps… Mais, au risque de perdre ce qui me reste, pour laver mon honneur et le tien, je prendrais ce seigneur pour second Einherjar, tentant par ce moindre acte de purifier ma conscience de cette autre trahison que je t'ai faite… Tu sais... tu sais que le refuser n'est pas mon pire crime... »

Elle sentit peu à peu ses forces l’abandonner à mesure que son cœur se vidait de sa culpabilité, ses bras flanchant, ses coudes heurtant avec rudesse la pierre humide, le corps secoué de sanglots.

« Je ne serais jamais pardonnable… et jamais, ni le temps, ni les punitions, ni rien que je puisse faire ne saura effacer cela… Mais je … je n’étais pas prête à cela… à te recevoir… à assumer cela… c’était trop dur…. Et s’il avait su alors… Tu sais ce qui se serait passé… n’aurait ce pas été pire alors ?... Plutôt que de salir son nom, j’ai fait ce choix monstrueux… et… et… est-il possible d’avouer que si l’on me laissait l’occasion, je referais la même chose…? »

» La Taverne d'Odin
» Désertion du service d'Odin